La résistance au cinéma ?
C’est sa définition historique qui vient d’abord à l’esprit, soit le terme par lequel nous désignons le regroupement des justes, refusant de se soumettre à l’occupant en temps de guerre, armée ou civile. Mais quel conflit, quel mouvement de résistants choisir ? Le chef-d’œuvre Invasiòn de Hugo Santiago, écrit avec Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares, permet d’éluder la question. La ville fantomatique d’Aquilea est un théâtre d’opérations imaginaires. L’oppresseur, bien que renvoyant à la dictature militaire en place en Argentine, est indéterminé. Les héros sont anonymes. Le film incarne de ce fait l’universalité de La Résistance. Pourtant, son caractère d’abstraction n’a pas empêché son interdiction par la junte. Il ne sera redécouvert qu’en 2002. Cette séance d’ouverture est un événement à plus d’un titre, avant tout parce que nous aurons l’immense plaisir d’accueillir son auteur.
La censure, les arrestations, la confiscation de copies, les menaces, la grève de la faim, René Vautier aura tout connu, jusqu’à sa disparition l’an dernier. Personne sans doute mieux que lui n’incarne la figure du cinéaste-résistant, caméra au poing. Homme de cœur et d’engagement, nous voulions lui rendre un hommage appuyé. Ses films brûlent encore de toute leur intensité et parlent aujourd’hui pour lui. Afrique 50 et Avoir vingt ans dans les Aurès, les plus célèbres, sont des bornes dans l’histoire du cinéma engagé.
La censure est partout. Elle se manifeste bien sûr avec une plus forte acuité dans les Etats totalitaires. Sous et dans la contrainte, les artistes trouvent cependant parfois non seulement les moyens de la contourner, mais mettent au jour pour ce faire de nouvelles formes plastiques et langagières. Ainsi Pere Portabella réalise sous le régime franquiste l’étrange Ne comptez pas sur vos doigts, et Jafar Panahi défie l’interdit en réalisant « un film sur un non-film », Ceci n’est pas un film.
Johan van der Keuken filme son dernier combat, contre le cancer, bien décidé à vivre le meilleur et à voir le monde jusqu’au bout, quitte à faire reculer l’inéluctable. Vacances prolongées est le témoignage testamentaire et infiniment humain, d’un des grands cinéastes des dernières décennies. Son ultime mise en images de notre monde.
Le corps est à nouveau à l’épreuve dans Hunger et dans AAA-AAA. L’organisme y est poussé dans ses derniers retranchements, exploré aux confins de sa résistance. Alors que Bobby Sands, leader de l’IRA, entame dans le film de Steve McQueen une grève de la faim – et Michael Fassbender, pour le tournage, un régime draconien –, Marina Abramovic et Ulay donnent une performance où ils s’époumonent jusqu’à n’en plus pouvoir. Combien de temps le corps peut-il tenir privé d’aliments, et comment s’altère-t-il ? Jusqu’où nous permet-il de donner de la voix ?
La survie… Dans The Plague Dogs, Martin Rosen porte à l’écran la cavale désespérée de Rowf et Snitter, deux chiens pourchassés sans merci dans le Lake District du Nord Ouest de l’Angleterre. A l’origine de ce film d’animation très noir, le roman éponyme de Richard Adams, un pamphlet contre les sévices perpétrés par les humains à l’endroit du règne animal, à des fins généralement inutiles et toujours justifiées par de pseudo-scientifiques raisons.
Le corps du personnage burlesque est lui aussi régulièrement l’objet des agressions les plus abominables de ses contemporains, quand il n’est pas plus simplement victime des éléments ou de sa propre maladresse. Le rire n’est jamais bien loin de l’insensibilité, « d’une anesthésie du cœur » pour reprendre les mots de Bergson, voire même, d’une forme de cruauté. Pour l’obtenir, le personnage principal endure souvent l’insupportable. Mais, dans le même temps, ce corps est aussi le lieu d’une inadéquation au monde, d’une alternative poétique, d’une résistance sociale.
Cette dernière est bien sûr l’enjeu de nombreux films ou bandes militantes dont les sujets varient. Ceux-ci ont pris une place considérable dans la décennie qui a suivi les mouvements libertaires et internationaux de la fin des années 1960. L’insubordination de la jeunesse américaine devant la folie réactionnaire de l’Etat – ici une critique en creux de la Guerre du Viêt Nam – est notamment au cœur du célèbre Punishment Park de Peter Watkins. Dans ce scénario d’anticipation, qualifié de « politic-fiction » par son auteur, les insoumis se voient donné le choix entre de lourdes peines de prison et une traversée au sens propre du désert californien. Un brûlot toujours ardent…
Les films réalisés autour du Groupe Medvedkine cristallisent le passage du cinéma engagé – celui des Chris Marker, Mario Marret, Joris Ivens, Jean-Luc Godard, etc. –, à la vidéo militante, où l’on voit le prolétariat s’approprier les moyens de production et parler en son nom. Dans la foulée, Carole Roussopoulos et Delphine Seyrig, ainsi que Ioana Wieder et Nadja Ringart – présentes à l’occasion de cette projection du ciné-club –, mettaient à mal les discours et les représentations communément admises qui, toujours, plaçaient la femme sous le joug du machisme ambiant. Deux séances réjouissantes ! Même si bien sûr, il reste à faire…
Le Sweet Sweetback’s Baadasssss Song de Melvin Van Peebles demeure quant à lui un des emblèmes du Black Power. Donnant le premier la fessée aux blancs, dans un geste cinématographique effréné et jubilatoire, il rend fierté et espoir à la communauté afro-américaine. Le film culte sera présenté par Max Van Peebles !!
Dans les franges expérimentales du cinéma tout est puissance et virtualité. Sans cesse remis à la question, tout élément doit justifier de sa résistance. Les images, en équilibre précaire de fonction et de statut ; les récits, continument redéployés ; les supports et les matériaux, dont la stabilité n’est jamais définitivement assurée ; les cinéastes, parfois en proie à l’oppression, et leur corps, à l’occasion lieu de performance.
Résister au présent, c’est aussi parfois proposer au passé un autre avenir. Dans L’Image manquante, Rithy Panh, survivant des massacres du peuple cambodgien par les Khmers rouges, oppose avec obstination son souvenir à l’oubli. Le génocide demeurant aujourd’hui – chose incroyable – sans images d’archives, il tente, avec une pudeur désarmante, de substituer à ce néant celles de sa propre histoire.
Nous vivons entourés d’objets. Qu’arrive-t-il lorsque ceux-ci se soustraient à notre volonté, à leur fonction, se mettent à tenir tête aux personnages auxquels ils sont confrontés ? Un certain nombre de cinéastes ont imaginé ce cas de figure. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas triste. Le plus souvent les films, truqués ou d’animation, donnent lieu à des dysfonctionnements des plus récréatifs, des joyeusetés surprenantes.
Une fois n’est pas coutume, le plat de résistance sera placé en fin de menu. Gabriel Axel met au supplice dans Le Festin de Babette la foie et la dévotion d’une petite communauté luthérienne du Juthland. Que reste-t-il de la bêtise, des rancœurs quotidiennes, et de la contrition devant l’extraordinaire délicatesse et la sapidité d’ « un potage de tortue » ou d’ « une caille en sarcophage » ?
Quoi de plus irrésistible également que le rire ? L’irrépressible et sulfureux désir, semble indiquer le Docteur Jerry. Dans son adaptation parodique et burlesque du fameux roman de Stevenson, Jerry Lewis plante un jeune prof de chimie bigleux, amoureux transi d’une de ses étudiantes, mué par le miracle des potions en Dean Martin des pensionnats.
Enfin, L’An 01 ! Premier jour d’une ère nouvelle ! On arrête tout. On fait un pas de côté. On réfléchit. Et c’est pas triste non plus !
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