2008 – Royaume-Uni / Irlande | |
96' – 2,35:1 - Couleur - Dolby Digital - 35mm / DCP | |
Réalisation | Steve McQueen |
Scénario | Enda Walsh, Steve McQueen |
Musique | Leo Abrahams, David Holmes |
Image | Sean Bobbitt |
Montage | Joe Walker |
Production | Andrew Litvin |
Avec | Michael Fassbender, Stuart Graham, Helena Bereen, Larry Cowan, Dennis McCambridge... |
Fiche IMDB | http://www.imdb.com/title/tt0986233 |
Un cinéaste est né. Non, il ne s’agit pas de l’acteur homonyme féru de sports automobile et élève de Bruce Lee mais d’un jeune réalisateur anglais. Qu’est-ce que ce film ? Un ovni ? Tout dépend la définition de ce mot.
Non le cinéma n’est pas mort. Non il n’est pas essentiellement réduit à un cinéma de flux, de la sensation ou d’un autre côté d’images de synthèse. Non. Avec Hunger, nous voyons un retour au cinéma du plan, au cinéma poétique, au cinéma qui fut considéré comme art. Car étant donné le nombre de navets qui sortent sur nos écrans tous les ans, il est à se demander où est passé l’art cinématographique si ce n’est mis au service de blockbusters aux sujets blafards, à des soap-operas ou des comédies pour ados sans dessein que celui lucratif. En effet, le cinéma n’est plus ce qu’il était. Il semblerait que ce que l’on a appelé le postmodernisme cinématographique soit devenu l’égal du futurisme en peinture mais on retient peu de films où le nombre de plans, la vitesse interne au plans, les artifices de montage valent la peine d’être considérés comme des œuvres. Influencés par l’esthétique du vidéoclip d’un côté et d’un certain versant du cinéma expérimental de l’autre, le septième art perd l’un de ses rôles qui lui a donné ses lettres de noblesse. Qu’est-il devenu du cinéma qui conte des histoires comme n’importe quel autre média ? Où sont passés ces cinéastes qui savaient nous enchanter par des sujets poignants, mettant en scène toute forme de fable ? Où sont passées les paraboles d’antan qui nous enseignaient la vie ? Force est de constater que l’on en trouve de moins en moins. Faute de quoi ? D’auteurs ? De producteurs ? Le cinéma italien est perverti par des producteurs qui produisent des navets à l’américaine. Un film comme Grande, grosso… e verdone de Carlo Verdone arrive à la cinquième place du box-office italien de l’année 2008. Ce film est l’archétype du film mercantile. Le film est cette machine, ce robot n’ayant aucune âme mais exécutant les ordres de ses concepteurs : « Fait de l’argent, beaucoup d’argent » car comme le disent les Neg’ marrons « C’est la monnaie qui dirige le monde ». Quand la machine s’humanisera-t-elle comme Robocop ou les robots d’A.I. ? Le cinéma français survit tant bien que mal et mène la barque du cinéma européen mais qu’en sera-t-il dans dix ans si des daubes monumentales relèvent l’économie du cinéma français ? (Bienvenue chez les ch’tis : 20 500 000 entrées ; Astérix aux Jeux Olympiques : 7 000 000 d’entrées ?!). Heureusement, il y a (il reste serait-il une meilleure formule ?) des auteurs ! Le diptyque de Richet sauve la production française annuelle.
Parlons de Hunger. Le retour aux sources. Retour vers un cinéma où la poésie découle de la simplicité, de la pure mise en scène instinctive et calculée – étrange paradoxe n’est-ce pas ? – retour vers un cinéma qui ne perdra jamais de sa fraîcheur. L’histoire : une prison d’Irlande du Nord se charge de surveiller des militants de l’IRA. La Grande-Bretagne ne reconnait pas leur statut de prisonniers politiques. Le « blanket and no-wash protest » ne portant pas ses fruits, ils entament une grève de la faim comme signe de revendication et de révolte.
Le film. Lors de sa venue au centre Pompidou, début décembre dernier, Werner Herzog parlait de multi polarisation en ce qui concerne l’histoire de son film The white diamond (2004). Il raconta que le personnage principal de son film était le coq que l’on apercevait pourtant qu’à la fin du film. Le scénario de Hunger semble refléter cette logique. Au début du film, on s’intéresse à un homme marié. Il vit dans une zone pavillonnaire d’une ville d’Irlande du Nord. Il se sent menacé, il est froid, il est gardien de prison. L’arrivée d’un nouveau détenu dans un centre pénitentiaire suit cette séquence. A travers son parcours, nous prenons conscience du traitement des prisonniers, de leur cause commune, de leur haine et de leur foi. Le personnage croise différents prisonniers, notamment son compagnon de cellule. A travers son regard, nous découvrons la communication illégale par le biais de messages cachés lors des visites familiales. Mais cet homme n’est pas le protagoniste du film. Le personnage principal arrive au bout de plus de quarante-cinq minutes (le film avoisine les cent minutes). Le précédent est oublié. On ne le reverra plus. Il nous a permis d’arriver à ce personnage qui entamera la grève de la faim : Bobby Sands. Quand on s’aperçoit que c’est cet homme qui va être l’objet de l’attention, le spectateur fait alors le lien avec l’expérience de l’autre détenu suivi jusqu’ici et voit cette épreuve comme le passé de ce nouveau personnage incarcéré depuis plus longtemps. Le film tient sa force de ce procédé comme Samson de sa crinière. Loin du héros classique à travers qui nous vivons l’histoire, le cinéaste divise le personnage en deux. L’un représentant l’arrivée, l’autre la fin. Ainsi, il n’y a pas un seul martyr comme souvent dans beaucoup de films mais par extension, nous en avons plusieurs. Nous imaginons que le sort du dernier sera également le sort du premier et de tant d’autres tant la cause commune est partagée par bons nombres de fidèles – certains diraient fanatiques.
La mise en scène. Un long plan qui n’est pas un plan-séquence interrompt le rythme du film après une heure de film. Combien de temps dure-t-il ? Au moins dix, quinze minutes. Il s’agit de la discussion entre le protagoniste et le curé de sa paroisse. Dialogue. Message : le prêtre ne croyait en rien. Il est devenu prêtre pour donner un sens à sa vie. Le protagoniste croit en l’indépendance de son pays. Il se battra avec ses armes autrement dit son corps. Dans Hurricane Carter (1999), Norman Jewison fera dire au personnage éponyme incarcéré dans sa cellule de prison : « Je décidais de faire de mon corps une arme » et Denzel Washington commençait ses exercices de musculation. Dans Hunger, le personnage utilisera son enveloppe matérielle d’une autre manière et à d’autres fins. Il se laissera mourir de faim par refus de vivre dans un monde tyrannique. Le curé tente de se battre avec ses paroles mais il est désarmé face à ce Jésus-Christ moderne qui lui fait face et se rend compte que la Bible n’est qu’un livre parmi tant d’autres.
Que me reste-t-il en mémoire ? Un cadrage incroyablement pensé, un montage propre laissant place à la métaphore poétique, une bande musicale inexistante. Le film respire tout seul. Il a sa propre âme, son souffle originel, son « anima » pour reprendre un terme de Jean Collet. Il y a différentes scènes remarquables. J’en retiens une particulièrement. Il s’agit de la première scène où le gardien est dehors sous la neige affublé d’une chemise bleue clair, les manches retroussées, adossé contre un mur. Nous avons un premier insert sur sa main en gros plan. Elle porte les stigmates des coups assenés aux détenus. Il porte sa main à sa bouche. La mise au point s’évapore. Désormais, la caméra cadre son visage qui se dessine dans la profondeur de champ brumeuse grâce ou à cause du flou. Il tire une bouffée de sa cigarette. Un deuxième plan flou se raccorde à celui-ci. Il dure assez longtemps. La bande-son nous fait penser aux matines du début d’Amarcord (1973). L’apaisement. La nature berce l’homme. Cette neige, ce froid glacial, qu’est-ce ? Peut-être le dernier cercle de L’enfer de Dante, la rencontre de Lucifer serait-elle proche pour ce personnage haineux. Peut-être est-il Belzébuth en personne ? Pourtant, son métier ne lui procure aucun sentiment exaltant. Il semble avoir adopté l’attitude que son travail nécessite. En contrepoint de ce personnage, nous trouvons ce jeune homme membre des forces d’intervention. Il ne peut violenter les détenus par respect de l’être humain. Mais y a-t-il une place pour la philanthropie dans ce métier ? Dans ce monde ? Encore un film qui nous véhicule cet éternel message mais qu’il fait toujours bon de rappeler : les hommes ne sont pas fait pour vivre ensemble. Même si les Grecs, Aristote en tête, considèrent que la socialité est produite par la nature, ce film est la énième preuve qu’ils ont tord. Reste l’espoir, toujours présent dans les films récents en tant qu’antithèse de la peur. Ici, on peut l’entrevoir à travers le jeune homme des forces de l’ordre.
Enfin un film digne d’être récompensé. Truffaut disait qu’un film valait la peine d’occuper une place dans sa vidéothèque quand on pouvait le voir plus de trois fois. Je n’ai vu le film qu’une fois, entre deux cours, mais quel choc ! Ce film me propulse vers ce désir incontournable de le découvrir, de le redécouvrir. Si vous avez encore des sujets aussi forts à raconter monsieur McQueen, et que le brio est un synonyme de votre personne alors je me languis de visionner vos prochaines œuvres.
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