Lettre à Freddy Buache / Le Camion
Claire Mercier désignait le scénario dans sa forme textuelle comme un « nouveau « genre » littéraire » : celui d’un « film qui reste « à faire » »1. Cet entre-deux de l’écriture et de l’image est au cœur du cinéma de Marguerite Duras, dont Le Camion est presque le manifeste. Un acteur (Depardieu) et une réalisatrice (Duras) lisent à haute voix le scénario d’un film « à venir », dont les intentions de tournage au conditionnel seront substituées au trajet anonyme d’un camion. Ces longs travellings, associés à l’énonciation du projet de faire film, deviennent la mise en acte d’une écriture préalable : celle du roman devenu scénario, puis œuvre lue. En miroir de cette écriture orale, Lettre à Freddy Buache prend la forme d’un courrier adressé au directeur de la Cinémathèque suisse : une commande détournée par Godard pour le 500ème anniversaire de Lausanne. Comme Duras, Godard est mis en scène en tant qu’auteur d’un récit à construire, et « corps créateur » qui en accompagne l’écriture en direct. Le film constitue comme la recherche d’une Lausanne perdue — celle de l’eau et du ciel, du haut et du bas — départ d’une fiction possible et jamais filmée, mais dans laquelle Godard cherche des couleurs, des liants parmi la ville. Le représenté ne suit plus littéralement le récit écrit mais appelle une œuvre extérieure, lue à travers sons et images. Ces deux écritures en mouve-ment seront, pour terminer sur les mots de Claire Mercier, un « accomplissement essentiel et nécessaire sans être cependant jamais définitif »2.
Charles Herby-Funfschilling