Les Chasses du Comte Zaroff
Dans l’ombre du colossal King Kong que Merian C. Cooper prépare et tourne avec son complice de toujours Ernest B. Schoedsack, celui-ci réalise en collaboration avec Irving Pichel un autre film, Les Chasses du comte Zaroff […] Ici bien moins de trucages, point de créatures préhistoriques gigantesques couvertes de poils ou d’écailles. Beaucoup de huis clos, quelques bêtes humaines plutôt lisses et une meute de Danois dressés. Les Chasses est moins illustre, moins retentissant, il est la face cachée de King Kong »1, écrit Claire Mercier. Les deux films partagent un même décor (le plateau 11 de la RKO-Pathé) : la jungle, le marais, un arbre couché en travers de l’abîme, soit une nature reconstituée qui a « ostensiblement un air de studio ». C’est que les deux films, méditant sur la barbarie des hommes qui se croient « en dehors de la bête », sont des laboratoires : « La fiction est un laboratoire. Où le poète enquête sur le possible humain. Nous sommes dans une hypothèse. Un décor »2. Les deux films partagent en outre leur distribution et notamment Fay Wray qui incarne la « fiancée » de King Kong mais aussi Eve, la femme que se disputent Rainsford et Zaroff, les deux chasseurs de la fable. D’après Claire Mercier, on doit l’apparition de ces personnages féminins dans le scénario des deux films à la contribution d’une collaboratrice de Cooper et Schoedsack, Ruth Rose, « historienne [et] chercheuse pour le compte de la Société Zoologique New-Yorkaise après une première carrière d’actrice dans les théâtres de Broadway ». En « tissant un lien d’amour », écrit-elle, les deux figures féminines introduisent dans le diptyque formé par les deux films un « contre-propos » (et les cris d’effroi de la jeune femme ont alors véritablement valeur de protestation idéologique), soit « la représentation d’un autre rapport […] que la concurrence pour la vie et la domi-nation du plus fort »3.
Jennifer Verraes