Loading. Please wait...
Recherche

2015-2016 – Visions

R. Liensol et M. Hondo sur le tournage de Soleil Ô © François Catonné / Ciné-Archives

Des visions du cinéma, ou les visions au cinéma et par le cinéma. Le principe de vision, essentiel à l’expérience du cinéma, a des acceptions variées. Poursuivant les ambitions de la photographie, le cinématographe est d’emblée utilisé pour documenter le monde. Celui présent sous nos yeux, bien sûr, mais tout autant celui qui s’étend au-delà des limites de l’espace connu, et que l’on ne se représente encore à la fin du 19ème siècle qu’à force de descriptions littéraires et d’images fantasmées. Les opérateurs Lumière s’emploient à donner corps à cet « ailleurs » dans des vues souvent fascinantes et parfois empruntes du colonialisme ambiant. Plus tard d’autres cinéastes, comme Murnau et Flaherty, donneront une forme libre et narrative à leur vision des antipodes.

Cette imagerie exotique peut être complétée par une autre, en contrepoint, la découverte de la société occidentale par l’étranger. Ici, dans le Soleil Ô de Med Hondo, un jeune africain, confronte sa France rêvée mais chimérique avec une expérience parisienne autrement plus réelle et acerbe.

Le cinéma, machine de vision, donne à voir l’invisible. Ce qui est trop loin, mais encore d’autres phénomènes, trop lents ou trop rapides pour être observés à l’œil nu, ou appartenant à des échelles incommensurables. Une part importante des incunables du cinéma appartient à cette histoire du voir, forgeant tour à tour pour l’observation les multiples techniques d’animation photographique qui ont conséquemment construit le cinéma ; des expériences de Jansen, Muybridge, Marey et Bull, aux films de Jean Painlevé.

Combien de films pourraient mieux incarner que Blow up d’Antonioni les questions relatives à la représentation de la vision au cinéma ? Là, à force de voir, Thomas se perd dans les relativités de la réalité et de sa perception. Bien que la caméra permette une nouvelle fois d’appréhender ce que l’œil avait laissé échapper, à trop vouloir s’enfoncer dans les strates de l’image, il finit par renvoyer les contours de l’objet dans les substances matricielles et abstraites, et découvre l’abstraction du monde.

Que voit le peintre ? Qu’est-ce qu’une image qui n’est pas encore celle couchée sur la toile ? Comment rendre compte de ce processus sensible et cognitif, qui va de l’oeil au cerveau, puis de la main au support ? C’est à cette tâche ardue que s’attèle Victor Erice dans Le Songe de la lumière, en plantant sa caméra devant le chevalet du peintre Antonio Lopez, scrutant ses regards sur un cognassier et l’image qui se dessine, en repentir.

Delmer Daves et Alexandre Sokourov nous livrent deux propositions diamétralement opposées de la vision subjective au cinéma. Quand le premier nous amène à percevoir la fiction de l’intérieur, directement par les yeux du personnage principal, le second propose une échappée spirite et aérienne dans les fastes ultimes de l’aristocratie tsariste. Voir par les yeux du narrateur, oui, mais dans un cas en offrant un corps aux autres protagonistes du film, et dans l’autre, voir sans être vu…

La vue se trouble parfois, jusqu’à la totale cécité. Pourtant, les films qui traitent réellement cette question, et qui ne se contentent pas d’investir la figure de l’aveugle ou du mal voyant, sont paradoxalement rarissimes au cinéma. Astigmatismo de Nicolaï Troshinsky et Blue de Derek Jarman sont de ceux-là.

« Être c’est être perçu ou percevoir », pour reprendre Berkeley ; dès lors, que devient un film où, justement, le personnage principal, prisonnier de sa phobie, cherche à nier son existence en se dérobant à tous les regards, y compris celui du spectateur ? C’est la gageure que nous propose Samuel Beckett dans son Film, incarnée par Buster Keaton. Stan Brakhage quant à lui nous offre la vision comme phénomène, donnant à voir la formation de ce qu’il appelle les images « primales », une vision primitive, d’avant le langage, s’apparentant peut-être à celle que connaît le nourrisson qui découvre, dans le même temps, la vue et le monde.

Voir jusqu’à l’obsession, et filmer, c’est la pulsion irrépressible, morbide et fascinante du jeune Mark Lewis. Le cinéaste du Peeping Tom (Le Voyeur) de Michael Powell fixe sur la pellicule les visages épouvantés de ses proies féminines, au moment où il les met à mort.

Du voyeurisme à la voyance… La pré-vison, c’est le rayon des précogs de Minority Report, sur laquelle s’est bâtie toute une société sécuritaire qui permet de condamner le crime avant même que celui-ci ne soit commis. La toute puissance des images à nouveau, pour une autre forme de perversion…

L’attrait du cinéma pour le monde fantomatique n’est pas nouveau. Celui-ci s’est beaucoup plu à faire revenir les morts dans les esprits et sur les écrans, comme avant lui, les fantasmagories. Deborah Kerr, qui incarne une jeune gouvernante dans Les Innocents de Jack Clayton, est l’objet de ce type d’apparitions, et se demande en premier lieu si elle n’a pas « des visions », des hallucinations. S’accompagnant le plus souvent d’un processus de déréalisation ces dernières sont perçues comme dangereuses ; c’est pourquoi, on enferme à l’asile une jeune femme qui en est la proie dans le chef-d’oeuvre méconnu de Teinosuke Kinugasa – un film d’avant-garde des années vingt –, et la raison pour laquelle la jeune Mima, midinette, chanteuse et héroïne du film d’animation Perfect Blue, croit devenir folle. Deux films japonais donc.

Il y a aussi que ces visions peuvent relever de la magie, comme celle du Maître des illusions qui fait ici figure de thaumaturge – à l’instar par ailleurs de Georges Méliès –, et qui met surtout en abyme d’autres origines du cinéma : le théâtre d’ombres et la lanterne magique.

Mais ces hallucinations peuvent également être recherchées, bien plus pour percevoir la réalité sous un autre jour que pour lui échapper. C’est le cas tout d’abord du principe de « surréalité », théorisé par André Breton, et qu’exerçaient : Antonin Artaud pour son scénario de La Coquille et le clergyman – mis en image par Germaine Dulac –, ou Luis Buñuel et Salvador Dali pour Un chien andalou, qui tentaient plus précisément de mettre en exergue le fonctionnement de l’inconscient, ou Marcel Duchamp pour son Anemic Cinema, jouant de la confrontation systématique de visions contradictoires, purement sensibles ou intelligibles.

C’est le cas ensuite de la mouvance psychédélique, qui prônait l’élargissement des champs de la conscience, notamment par la méditation, les expériences multi-sensorielles ou l’usage de psychotropes, qui toutes devaient conduire à une forme d’extase esthétique, peuplée de visions et d’artefacts colorés. D’abord issue de la côte ouest américaine, le psychédélisme fini par trouver une réplique cinématographique plus tardive en France.

Enfin, éprouver au sens fort du terme la « vision» c’est se confronter avec ses limites. Jusqu’où peut-on voir ? Jusqu’où peut-on montrer ? Y a-t-il des limites à la représentation ? Et si oui, quelles sont-elles ? Sont-elles acquises ou innées, collectives ou individuelles ? Autant de questions posées par les films de Georges Franju et de Stan Brakhage, qui nous confrontent, sans fard mais sans perversion, en deçà des rituels, au fait de naître et de mourir.

Présentation du thème par Grégoire Quenault, enseignant responsable du cours Programmer/Montrer des films.
Programme conçu par : Grégoire Quenault , Florence Cheron et Céline Pluquet et les étudiants : Anasthasia Alary, Angèle Benbli dit Essahli, Odile Boussard, Stephano Darchino, Céline Gaugain, Julie Le Gonidec, Anouk Levoyer, Yelai Liang, Manon Magrez, Julia Minne, Sarah Moustakim, Eriko Murofushi, Léa Thirion et Romain Tourbillon

DateHeureThèmeFilm
14 octobre 201512h45Visions d'ailleursVues du catalogue Lumière
Tabou - Friedrich W. Murnau / Robert Flaherty
21 octobre 201512h45Le cinéma comme dispositif de visionProgramme de courts métrages
28 octobre 201512h45L'acte de voirBlow Up - Michelangelo Antonioni
4 novembre 201512h30Visions picturalesLe Songe de la lumière - Victor Erice
18 novembre 201512h45Vue de l'espritL'Arche Russe - Alexandre Sokourov
2 décembre 201512h45Vision subjectiveFilm - Samuel Beckett
Desist Film - Stan Brakhage
Prelude (de Dog Star Man) - Stan Brakhage
Comingled Containers - Stan Brakhage
Delicacies of Molten Horror Synapses - Stan Brakhage
Crack Glass Eulogy - Stan Brakhage
9 décembre 201512h45Troubles de la visionAstigmatismo - Nicolaï Troshinsky
Blue - Derek Jarman
16 décembre 201512h45Vision perspectiveLes Passagers de la nuit - Delmer Delves
3 février 201612h45VoyeurismeLe Voyeur - Michael Powell
10 février 201612h15Voyance - Pré-visionMinority Report - Steven Spielberg
17 février 201612h45HallucinationsUne Page Folle - Teinosuke Kinugasa
24 février 201612h45Visions surréalistesAnemic Cinema - Marcel Duchamp
La Coquille et le clergyman - Germaine Dulac
Un chien andalou - Luis Bunuel / Salvador Dali
2 mars 201612h45RevenantsLes Innocents - Jack Clayton
9 mars 201612h45Illusion et magieLe Magicien - Georges Méliès
L'Illusionniste fin de siècle - Georges Méliès
Le Portrait spirite - Georges Méliès
Les Cartes vivantes - Georges Méliès
Le Montreur d'ombres - Arthur Robinson
16 mars 201612h45Visions d'iciSoleil Ô - Med Hondo
30 mars 201612h45Visions schizophrènesPerfect Blue - Satoshi Kon
6 avril 201612h45Visions psychédéliquesLapis - James Whitney
Andy Warhol Exploding Plastic Inevitable - Ronald Nameth
Visa de censure - Pierre Clémenti
Giraglia - Thierry Vincens
13 avril 201612h45Limites de la représentationLe Sang des bêtes - Georges Franju
Window Water Baby Moving - Stan Brakhage
The Act of Seeing with one's own eyes - Stan Brakhage

Partagez sur vos réseaux sociaux :

Ou copiez et partagez simplement cette url :
Colonnes/Lignes
Sens de défilement
Taille de la vignette
Style de la vignette
Affichage des panneaux
Affichage